Don – renoncement – liberté
Par Bertrand GRIER
Conférence du lundi 2 février 2010 - les lundi de Saint Jacques
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Ce titre en trois volets m’a été inspiré par un échange récent au sujet d’une analyse psychanalytique de la Bible qui, me dit mon interlocuteur, met en avant des
notions d’épanouissement personnel et de respect de la liberté individuelle, valeurs à la mode dans notre monde occidental actuel (parallèlement, ou dû, à la prédominance d’un système économique
et social libéral originaire des Etats-Unis ?). Or, ajout-t-il, « Faire la part belle à la seule liberté n’est pas suffisant ; la liberté ne vaut rien si elle n’est pas teintée
d’amour ; un amour qui conduit à des concessions mutuelles, des renoncements, l’abandon de quelques pans de la liberté de chacun».
Dit d’une autre façon, le souci de soi ne vaut qu’avec le souci de l’autre.
Il m’a semblé évident qu’il fallait alors parler du don qui est une sorte de concrétisation matérielle à la fois de la liberté et du souci de l’autre.
Vous aurez d’ailleurs noté que lors de notre séance précédente, il avait déjà beaucoup été question du don dans le Nouveau Testament (l’offrande des deux pièces de
la vieille femme, …).
C’est une heureuse coïncidence que peu après Noël, au moment même où nous fêtons la venue des mages chargés de présents pour la naissance du Christ, nous évoquions
justement ce thème du don. Il est vrai aussi que cette question est devenue ces jours-ci d’une actualité médiatique douloureuse au lendemain du séisme en Haïti.
Pour le chrétien l’histoire biblique s’inscrit entre deux dons :
- le don de la création : dans la première version (Gen. 1-29 et 1-30), Dieu donne à partir du moment où il crée l’homme et la femme (à noter que dans le
second texte, Dieu ne donne pas la création, le Jardin d’Eden, mais il donne à l’homme la tâche « de le cultiver et de le garder ») ;
- le don de la vie du Christ : « il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime ».
Un don associé à la perte d’une vie, cela nous évoque un autre épisode de l’Ancien Testament qui succède immédiatement aux récits de la création : le meurtre
d’Abel par son frère Caïn. Il s’agit de deux dons : l’un agréé par Dieu l’autre pas.
Relisons ensemble ce texte (Gen. 4-1 à 4-8). Sans entrer dans les subtilités des différentes traductions (lisez Marie Balmary par exemple), on remarque facilement
que les deux dons ne sont pas équivalents :
- « il advint que Caïn présenta des produits du sol », lesquels ? On n’en sait rien et aucune valeur particulière n’est attachée à son offrande
par le donateur ;
- « Abel offrit des premiers-nés de son troupeau et même de leur graisse ».
Tous les dons ne sont pas équivalents, non pas leur nature (contrairement à ce que l’on pourrait déduire, les éleveurs ne sont pas plus vertueux que les
agriculteurs, même s’il y a peut être une intention cachée du rédacteur) mais par l’intention du donateur.
On peut aussi relever des différences dans la naissance des deux frères :
- « L’homme connu Eve » … « j’ai acquis un homme de par Yahvé » (pour Caïn) [1];
- « Elle donna aussi le jour à Abel ».
Et quelle différence encore plus marquée avec la naissance du troisième (Gen. 25) : « Adam connut sa femme, elle enfanta un fils et lui donna le nom
de Seth ».
Ici on cite le nom du père qui n’est pas exclu du discours de la mère (« j’ai acquis un homme de par Yahvé »). Elle n’a pas cette fois
« acquis un homme » mais « enfanté un fils », ce qui n’est pas du tout la même chose (aucune idée de possession mais au contraire une idée de lien, de relation).
On peut dire qu’Abel et Caïn étaient mal partis dans la vie, surtout Caïn.
Revenons au don.
Un article de la revue Muze de décembre 2009-janvier 2010, intitulé « L’échange ou le don. Pourquoi échangeons-nous des cadeaux ? », nous explique la
différence entre l’échange et le don.
L’échange est essentiellement économique. Il résulte d’un intérêt commun entre deux parties (groupes, individus), et n’implique pas de rapport personnel à
l’autre : une fois l’affaire conclue (la somme payée contre un bien, un service, …) chacun est libéré du lien temporaire qui s’est établi.
Au contraire, le don engage l’un et l’autre dans une relation « paradoxale » nous dit-on.
Paradoxale car celui qui donne (même s’il attend toujours une forme de reconnaissance), doit être capable de s’exposer à ne rien recevoir en retour. J’ajouterais
qu’il s’expose à ce que son don ne soit même pas accepté. Donner c’est admettre l’éventualité d’un défaut de réciprocité. Nous avons (grâce à l’intervention de Matthieu) abordé cet aspect au
cours de notre séance précédente.
Nous avions eu l’occasion de faire l’expérience de cette notion de réciprocité du don lors de notre séjour en Algérie il y a 30 ans. Apporter un cadeau signifie un
contre cadeau en retour. Si ce cadeau est un gâteau présenté dans un plat par exemple, il se passe les choses suivantes :
1) le gâteau sera mangé sans être partagé avec le donateur (ce qui est plus logique que dans notre système de conventions, avouons-le) ;
2) on vous rendra le plat avec dedans un don en retour (un paquet de farine ou de sucre).
Nous avons pu nous apercevoir qu’il existe aussi une forme d’appel au don. Le fait d’entrer chez quelqu’un et de lui dire qu’il a chez lui quelque chose de beau (un
beau plat, une belle théière, …) met dans l’obligation celui qui a entendu de faire don du bien qui a été cité (du moins est-ce ainsi que nous avons interprété le fait de devoir repartir avec
l’un de ces objets).
C‘est une forme de reconnaissance de la personne qui émet la « demande » et du lien qui unit ces deux personnes. Mais ce don forcé expose aussi à une
future réciprocité.
Marcel Mauss, inventeur français de l’ethnologie et de l’anthropologie, a étudié dans les années 1920 les coutumes de sociétés dites primitives. En particulier, il
s’est intéressé à la pratique du potlatch chez les indiens du nord-ouest de l’Amérique, pratique que l’on retrouve aussi dans les populations du Pacifique.
Le potlatch est un don collectif d’une communauté vers une autre au cours d’une cérémonie officielle. Il met en jeu trois phases :
- le don d’un objet de valeur est une reconnaissance implicite de l’autre communauté,
- l’acceptation du don est une reconnaissance par cette communauté réceptrice de la valeur du don,
- le contre don (au minimum au même niveau d’estime que le don) sert à annuler la valeur matérielle de l’échange (au point que certaines fois, les dons et contre
dons sont détruits pendant la cérémonie !) au profit de la valeur sociale de cet échange.
Marcel Mauss voit dans le don, qui semble a priori manifester une relation de sympathie envers l’autre, révèle en fait une dimension agressive ou au moins
contraignante.
Un exemple vécu, toujours en Algérie, illustre cette obligation contraignante. Nous avions rendu service à un employé travaillant près d’Alger en le ramenant en
voiture près de sa famille dans un village de Kabylie ; arrivés dans son village, il nous présente alors à un homme plus âgé qui avait passé plusieurs années en France et qui nous fait
entrer chez lui, nous invite à partager son repas, puis nous convainc, car il est tard, de nous laisser sa chambre pour la nuit et nous guide le lendemain à travers le marché de Tizi-Ouzou.
Racontant plus tard cette anecdote à un algérien connaissant la situation pécuniaire de l’homme que nous avions aidé, nous avons alors compris que ce dernier était depuis devenu débiteur de
l’homme qui nous avait hébergé et qu’il allait sans doute « mettre toute se vie pour rembourser cette dette ».
L’offrande faite aux dieux n’est pas non exempte de cette obligation de retour lorsqu’il s’agit d’un geste de demande plutôt que d’action de grâce. Sans parler de
l’offrande (ou don) non sincère, comme celle de Caïn, comme les cadeaux de pacotille des navigateurs européens qui, s’adressant aux peuplades pratiquant le potlatch, ont pu leur extorquer ainsi
de grandes quantités d’or et autres matières et objets précieux.
Marcel Mauss a tiré de ses analyses les conclusions suivantes : « il est possible d’étendre ces observations à nos propres sociétés. Une partie
considérable de notre morale et de notre vie elle-même stationne toujours dans cette même atmosphère du don, de l’obligation et de la liberté mêlés ».
Ce n’est pas un hasard si dans ce propos nous retrouvions mêlés le don et la liberté ; nous le verrons encore plus loin.
Dans nos sociétés modernes le don revêt toujours cette part ambigüe, dangereuse, conflictuelle et violente. Le don oscille toujours entre désintéressement et
contrainte et par là nous oblige à prendre conscience de la part de conflit inhérente à toute relation avec l’autre.
Ce conflit, Paul l’a très bien exposé lors de notre dernière rencontre, quant à notre attitude face à celui qui mendie, donc qui sollicite activement un don (comme
dans l’exemple de la chose « signalée comme belle » en Afrique du nord).
Ecoutons ce que nous en dit Sénèque (Sénèque, né en 4 avant JC et mort en 65 après JC est influencé par le stoïcisme mais sa pensée est aussi proche de la morale et
la charité chrétiennes, nous dit-on dans l’article de Muze) :
« … surtout donnons de bon cœur, promptement, sans hésiter. Quel charme peut avoir le bienfait que longtemps le bienfaiteur a retenu dans sa main, qu’il semble
n’avoir lâché qu’avec peine, et comme se faisant violence à lui-même. Si même il survenait quelque retard, ayons soin qu’on ne puisse en accuser notre irrésolution. L’hésitation est tout près du
refus et n’a droit à aucune reconnaissance – car le premier mérite du bienfait consistant dans l’intention du bienfaiteur, celui dont la mauvaise volonté s’est trahie par ses tergiversations, n’a
point donné » (Extrait : Des bienfaits, éd. Les Belles Lettres, 1961).
Je me souviens avoir vu un film où un adolescent de 12-13 ans regardait passer un malheureux dans la rue, tirant une carriole. L’enfant mangeait des œufs en
chocolat ; tout à coup, il se releva, descendit au pied de l’immeuble, rejoignit l’homme à la carriole qui, arrêté sous un arbre, s’était mis à compter ses quelques pièces de monnaie, toute
sa fortune. Le jeune tendit ses chocolats au vieil homme puis disparut. Spontanéité du geste, certes. Mais pas au risque de la relation ?
Nous avons passé une année à parler du Bien et du Mal, mais nous étions-nous penchés sur l’article 7 du Catéchisme de l’Eglise Catholique, intitulé « Les
vertus », dans laquelle la vertu y est définie comme « une disposition habituelle et ferme à faire le bien » accompagné de cette citation de Grégoire de Nysse : « le but
d’une vie vertueuse consiste à devenir semblable à Dieu ».
Le catéchisme évoque ensuite plusieurs sortes de vertus :
- les vertus humaines en distinguant les 4 vertus cardinales (prudence, justice, force et tempérance) ;
- les
vertus théologales (la foi, l’espérance, la charité) ;
- les
dons et les fruits du St Esprit (7 dons : sagesse, intelligence, conseil, force, science, piété, crainte de Dieu et 12 fruits : charité, joie, paix, patience, longanimité, bonté,
bénignité, mansuétude, fidélité, modestie, continence, chasteté).
Si la charité est citée deux fois, le sens de l’humour n’en fait pas partie comme vous l’aurez remarqué.
André Comte-Sponville a écrit « Petit traité des grandes vertus » qui a été traduit en 24 langues, ce qui est beaucoup mais beaucoup moins que la
Bible. Le thème de ce soir nous entraîne vers quatre des vertus citées dans le centre de cet ouvrage :
- la
générosité ;
- la
gratitude ;
- l’humilité ;
- la
simplicité.
Comme je ne veux pas empiéter sur le thème de « « l’autre en philosophie », je ne donnerai que quelques extraits de ses propos.
Générosité :
La générosité est la vertu du don. Ce n’est pas la justice ni non plus la solidarité. En cette période de dons aux haïtiens, remarquons que l’on parle beaucoup de
solidarité alors que le mot générosité paraît plus adapté. Vous avez sans doute reçu les vœux de M. le Président de la région et noté qu’il emploie le mot solidarité pour un autre :
fraternité.
Générosité, don d’argent nous dit ce philosophe, mais aussi parfois jusqu’au sacrifice, le don de soi.
La générosité est une victoire sur la petitesse du moi, même quand nous n’aimons pas. Celui qui donne par amour n’a pas besoin d’être généreux. Pour lui cela va de
soi. Mais on ne commande pas l’amour. En revanche, la générosité exprime notre liberté (elle n’existe que si nous n’y sommes pas contraints et si nous ne sommes pas intéressés, nous n’attendons
rien en retour) et notre volonté. Elle est grandeur de l’âme.
Et être généreux s’est « s’efforcer d’aimer et agir en conséquence » nous dit Comte-Sponville et il ajoute : « La générosité nous élève vers les
autres et vers nous-mêmes en tant que libérés de notre petit moi ».
La seconde vertu qui entre directement dans la sphère du don est la gratitude.
Que l’être généreux n’attende rien en retour n’exempte pas celui qui reçoit de remercier.
D’ailleurs, Mozart utilise cette expression « la générosité de la gratitude ».
Quand la gratitude fait défaut, ce n’est pas que nous ne sachions pas recevoir, ce n’est pas insensibilité, c’est encore une incapacité à donner, de
l’égoïsme.
Remercier c’est donner ; rendre grâce, partager. Que les dons nous viennent de Dieu ou des hommes.
Nous étions à Paris l’hiver dernier avec Béatrice. De notre autobus j’ai suivi cette scène.
Une femme sort de son immeuble et jette quelques pièces à un homme assis sur le sol, un SDF qui avait étalé ses affaires sur le trottoir. Nous étions en décembre,
il pleuvait et dans le froid l’homme avait passé la nuit là sans doute. La femme s’est penchée pour déposer son don et a immédiatement poursuivi son chemin. Alors, cet homme s’est comme réveillé,
le temps de comprendre il a levé la tête vers la femme qui déjà s’enfuyait. Comme avec le garçon aux chocolats, le don n’était pas allé jusqu’au risque de la rencontre. Mais j’ai vu le regard de
cet homme. J’ai vu cette joie dans les yeux, cette bouche se fendre d’un sourire ensoleillé. J’ai bu à ce visage éclairé et volé à cette femme le
merci adressé qu’elle n’a pas pris le temps de recevoir.
Bienheureux ceux qui savent s’arrêter. Je dédie cette conférence de ce soir à tous ceux qui, dans cette salle (j’en connais !), à Haïti (j’en connais
aussi !) ou ailleurs, donnent une partie d’eux-mêmes dans l’échange autant que dans la chose donnée.
Deux autres vertus me paraissent bien reliées au don.
La première est l’humilité ; St Augustin a écrit ceci : « Là où est l’humilité, la aussi la charité ».
La seconde est la simplicité, qui va au-delà encore : voyez St François d’Assise.
Le moi n’est que l’ensemble des illusions qu’il se fait sur lui-même, nous dit Comte-Sponville et il ajoute encore :
- la
générosité le surmonte, la simplicité le dissout ;
- la
générosité est un effort, la simplicité un repos ;
- la
générosité est une victoire, la simplicité une paix ;
- la
générosité est une force, la simplicité une grâce.
L’esprit de la simplicité est celui des Evangiles :
- laissez venir à moi les petits enfants ;
- bienheureux les simples d’esprit ;
- regardez les oiseaux du ciel, ils ne sèment ni ne moissonnent, ni ne recueillent en des greniers et votre Père céleste les
nourrit.
Quoi de plus léger ! C’est la vertu des sages et la sagesse des saints, ajoute Comte-Sponville, quoique philosophe athée.
A ce moment de l’exposé, je vous invite à revenir à une autre histoire de don.
Dieu avait fait à Abraham le don d’un premier fils, Ismaël, par sa servante égyptienne Agar (la première mère porteuse de l’histoire de l’humanité), puis d’un
second, Isaac, par sa femme Sara.
Relisez ces textes, leur symétrie, y compris dans les détails est frappante.
Si on considère qu’il s’agit là de deux manières différentes de nous raconter la même histoire, alors nous y voyons autre chose que ce qui est généralement commenté
(pourquoi les tableaux ne représentent-ils que le « sacrifice » d’Abraham mais pas « l’abandon » d’Agar, en tout point parallèle ?).
Alors peut-on y lire le refus des dons de Dieu (découragement/distance pour Agar, obligations/étouffement pour Abraham) puis une invitation (les envoyés de Dieu
ouvrent leur regard) à rectifier ces attitudes égoïstes face au don de la vie, en pensant l’autre (l’enfant) au lieu de soi.
A cette idée que notre monde contemporain met en avant la liberté individuelle mais que celle-ci est sans issue si elle n’avance pas en parallèle avec l’amour qui
est concessions mutuelles et donc abandon d’une part de sa liberté, quelle réponse pouvons-nous faire ?
Nous connaissons tous cette phrase « La liberté de chacun s’arrête où commence la liberté de l’autre »
tirée de la Déclaration Universelle des droits de l’homme.
Faut-il opposer liberté et renoncement ? Le don et l’amour veulent nous dire laisser de la place à l’autre et par là renoncer à certains choix. Mais ce
renoncement n’est-il pas justement l’expression la plus haute de notre liberté ?
Celui qui cherche à dominer son prochain pour gagner davantage de pouvoir, ou d’argent, ou de reconnaissance publique ou privée n’est-il pas d’abord l’esclave de sa
propre logique, de son instinct de survie.
Inlassablement, des intentions de prières s’adressent aux dirigeants, à ceux qui ont le pouvoir pour qu’ils aient un regard ouvert et des actes justes.
Se laisser diriger par le désir de prendre toute la place (chacun à leur façon Abraham et Agar commencent par prendre toute la place) n’est pas user de sa liberté.
Bien plus libre est celui qui sait prendre du recul face à cette attitude (ce qui ne veut pas dire s’effacer totalement), qui sait y renoncer avec juste ce qu’il faut de distance pour que l’autre existe dans l’espace qui lui est ainsi ouvert.
Plutôt que de chercher à combler ce vide qui ne le sera jamais, l’être libre crée ce creux, ce vide où il pourra accueillir l’autre. Là il exerce pleinement sa
libre volonté ; le Christ, qui est don des dons, nous en a montré le chemin : « ma vie, nul ne la prend ; c’est moi qui vous la donne ».
Et par quel renoncement laisser à l’autre la liberté d’user de ce don précieux que Dieu mit en l’homme, à savoir la parole ?
Ce renoncement, c’est le silence.
(Ce fut le mot de la fin … et l’ouverture du débat, qui commença donc par un silence)
Je souhaitais ajouter un petit mot car le texte de la seconde partie ne correspond pas exactement à la conférence donnée le 1er février ; cette
seconde partie comportait une relecture plus personnelle de l’épisode du « sacrifice d’Abraham ». Cette réflexion avait été largement initiée par ailleurs (cf. travaux de Marie Balmary)
mais j’ai cru qu’il m’avait été donné de pouvoir soulever encore un peu plus le voile opaque de cette histoire en découvrant le parallèle avec l’histoire de la servante Agar et du premier fils
d’Abraham, Ismaël.
Or dans vos objections justes et profondes, j’entendais les corrections de plusieurs erreurs. Peut être avais-je pu apercevoir une autre lueur, une nouvelle
perspective en lisant ce texte trop connu mais je n’avais pas le chemin pour m’en approcher davantage.
Le texte retravaillé que je propose à la lecture s’est enrichi des échanges qui ont suivi l’exposé et je me suis souvenu particulièrement de quatre
interventions ; pardon d’avance à ceux que je ne cite pas ou si je déforme les propos de ceux que j’ai retenus :
- guidé par la symétrie, j’avais parlé de deux « sacrifices » au lieu d’un seul ; il fallait pousser la
logique du parallèle plus loin ; il n’y a pas d’idée de sacrifice dans le geste d’Agar ; et puisque parallèle il y a, c’est que le sacrifice n’est pas ce qui doit être vu dans ces
textes, donc dans l’histoire d’Abraham ; je retombais dans l’ornière que je prétendais dépasser ;
- « nous avons surtout besoin de discernement » et encore « c’est la vérité qui nous rend
libre » ; quand les envoyés de Dieu montrent le puits à Agar et le bélier à Abraham, ils les délivrent de leur aveuglement et leur font découvrir l’enfant vers qui doit être tourné leur
regard, leur amour ; ce que nous dévoilent ces textes c’est que là est le Bien, dans cette ouverture du vrai regard sur l’autre ;
- en
effet, à la fin Dieu dit bien à Abraham qu’il aura une longue descendance car il a cru en Lui. Si Abraham avait tué son fils comment y aurait-il pu avoir accomplissement de la parole de Dieu qui
avait déjà annoncé cette descendance ? Cette logique n’est pas accessible à Abraham dans le moment où il pense que le plus important est d’accomplir les gestes rituels de l’holocauste, ce
qui est le commencement de la soumission à tous les fanatismes et terrorismes idéologiques et religieux ; le message est fort et de tous les temps.